A l’occasion de l’audience solennelle de la Cour de cassation le procureur général, Rémy Heitz, appelait de ses vœux, de manière pressante, la réforme constitutionnelle du statut du parquet dans le contexte de la multiplication des régimes dits « illibéraux ».
Il s’agit, comme pour les magistrats du siège, de rendre conforme (et non simple) l’avis du CSM au ministre en matière de nomination des procureurs et procureurs généraux et de doter la formation disciplinaire du parquet d’un réel pouvoir décisionnaire, plutôt qu’un avis simple au garde des Sceaux. C’est une réforme « a minima » : le garde des Sceaux conservant le pouvoir de présentation au CSM des procureurs et procureurs généraux, et les magistrats étant en minorité au sein du CSM en matière de nominations. Cette réforme, votée en termes identiques en 2016 par les deux assemblées, n’a jamais été renvoyée devant le congrès. Récemment, le garde des Sceaux Gérald Darmanin, s’adressant aux procureurs et procureurs généraux, a indiqué ne pas être opposé à une telle réforme tout en rappelant la situation parlementaire actuelle, peu favorable à une réforme constitutionnelle.
Chez nos proches cousins italiens la situation est bien plus dégradée et s’oriente vers une scission irréversible du siège et du parquet et, sans doute, à une évolution de son statut au sein de l’appareil d’Etat.
Un projet de loi constitutionnelle visant à la stricte séparation des carrières entre siège et parquet est actuellement pendant devant les assemblées. Cette réforme succède à une précédente qui limitait déjà grandement les possibilités de passages entre le siège et le ministère public. Elle vise notamment à scinder les CSM siège et CSM parquet et à créer une Haute Cour de discipline, au sein de laquelle les magistrats seraient largement minoritaires, en violation des standards européens.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature italien a émis un avis défavorable quant à une telle réforme. Les collègues transalpins y voient, au-delà d’une simple réforme technique, le moyen de contrôler l’autonomie et l’indépendance du ministère public, dans un mouvement plus large de redéfinition des pouvoirs au sein de l’Etat. La première ministre a indiqué qu’il appartenait à la représentation nationale de changer les lois.
Les audiences solennelles de rentrée ont été l’occasion pour nos collègues italiens et l’Association nationale des magistrats de protester contre cette réforme, laquelle se garde d’aborder le problème endémique des moyens de l’institution judiciaire. Les collègues se sont présentés aux audiences solennelles avec une cocarde tricolore épinglée sur leur robe et un exemplaire de la Constitution à la main. Ils ont massivement quitté la salle lors de l’intervention des autorités administratives. Ainsi à Naples, principale juridiction italienne, l’exécutif y était représenté par le ministre de la Justice, M. Nordio, ancien magistrat du parquet. Le procureur de Naples a pourtant quitté l’audience indiquant « ne pas voir la nécessité d’y participer » tandis que les avocats, favorables à cette réforme estimant le parquet trop puissant, applaudissaient le ministre.
Un mouvement de grève des magistrats italiens est prévu le 27 février prochain.
Et si demain cela se passait en France, « république sœur » de l’Italie, que feriez-vous ?
Soutiendriez-vous cette réforme estimant que le nécessaire « choc d’autorité », allié au « bon sens », justifient une reprise en main, et pourquoi pas une forme de fonctionnarisation d’un ministère public en charge de décliner strictement une politique publique judiciaire ?
Soutiendriez-vous cette évolution estimant que le ministère public, même membre à part entière de l’autorité judiciaire en sa qualité de magistrat, a trop de pouvoirs pour gérer la délinquance du quotidien comme la criminalité organisée ?
Soutiendriez- vous, comme le pense l’Union syndicale des magistrats, qu’un ministère public composé de magistrats, indépendants du pouvoir politique dans leur activité juridictionnelle, ayant la possibilité dans une longue carrière de s’ouvrir aux contraintes et logiques du siège en changeant de fonctions, est à la fois une richesse et une garantie démocratique ?
Au final, que les magistrats soient représentés par des syndicats ou par des associations strictement professionnelles, le problème reste entier : qui est gêné par l’indépendance de l’autorité judiciaire, troisième pouvoir de la théorie des pouvoirs de Montesquieu ?
Retrouvez cette tribune de Ludovic Friat, président de l’USM, publiée dans Actu juridique :