L’USM écrit au garde des Sceaux.
Il est parfois reproché à notre organisation syndicale d’avoir un discours alarmiste et négatif quant à l’état de notre Justice, faisant fi des réelles avancées budgétaires, statutaires ou de recrutement de personnels judiciaires. Nous répondons inlassablement que le chemin de la « Justice réparée » est encore long et que « si le cap est bon, le port est loin » et les vents souvent contraires.
Le « gros temps » ainsi traversé est souvent médiatique.
La justice est au cœur d’une actualité devenue instantanée. Dans cette enceinte médiatique, la parole, critique et à juste titre exigeante, est trop souvent devenue décomplexée, opportuniste, cynique voire malveillante envers l’action des personnels judiciaires – dont les magistrats – et ce, de façon quasi quotidienne. Cette parole irrigue la société et émane parfois de hauts représentants de l’Etat, d’élus nationaux comme locaux, incitant tout un chacun à en faire de même sur les réseaux sociaux, voire à aller beaucoup plus loin usant de la menace, dans le confort de l’anonymat.
A l’image de notre garde des Sceaux qui revendique une présence médiatique renforcée en réponse aux attentes et questionnements des citoyens, nous sommes en droit d’attendre qu’il défende l’institution judiciaire, qu’il explique davantage le travail des magistrats (juges et procureurs), des greffiers, des éducateurs, des personnels pénitentiaires de probation et de surveillance.
Faut-il exiger de changer la loi après qu’un procureur ait convoqué un élu en CRPC pour avoir refusé de marier un étranger en situation irrégulière ? Prévoir une « comparution immédiate » des mineurs qui peuvent déjà être jugés en 10 jours ? Ou mettre un terme aux activités décrites comme « ludiques » en détention, sans évoquer la réinsertion ni les mettre en miroir avec la surpopulation pénale et ses effets ?
Que la loi soit interrogée par le politique, sous le contrôle du juge constitutionnel, ou que le profil de ceux qui bénéficient d’activité éducatives, psychologiques ou simplement occupationnelles en détention soit précisé, c’est normal. C’est le sens du débat démocratique pour l’un et le rôle du ministre pour l’autre. Encore faut-il veiller à ne pas mélanger les deux.
Nous, personnels judiciaires, sommes fiers de notre professionnalisme et de notre forte implication au service de tous, souvent les plus faibles, même si nous sommes parfaitement conscients que nos moyens ne nous permettent pas de rendre la « justice de qualité », gage du lien social, à laquelle nous aspirons.
L’USM est souvent bien seule à tenter d’expliquer sur les plateaux TV le rôle des acteurs du droit et les difficultés auxquelles ils font face quotidiennement, que ce soit :
- le procureur qui oriente une procédure ou requiert à l’audience conformément au droit applicable,
- le juge des libertés et de la détention qui applique une disposition législative en droit des étrangers,
- le juge des enfants en proie à des délais inacceptables de prise en charge de mineurs en danger par les services éducatifs,
- le juge civiliste qui doit toutes affaires cessantes se consacrer à une activité pénale toujours plus prenante
- ou encore le juge de l’application des peines qui voit son rôle de plus en plus réduit à la gestion de masse de la surpopulation carcérale chronique plutôt qu’à une prévention individualisée de la récidive…
Il nous est apparu nécessaire d’alerter le garde des Sceaux sur les conséquences néfastes de laisser prospérer les discours critiques et acerbes sur le travail des magistrats et personnels judiciaires et qui font de ces derniers des boucs-émissaires des maux de notre société, et les livrent indirectement à la vindicte populaire.
Au-delà de l’impact direct sur les personnels concernés par ces critiques et ces menaces, c’est notre démocratie, dont la justice est l’un des trois piliers, qui en patira. Nul doute que les organisations criminelles, par exemple, sauront tirer avantage de la déstabilisation grandissante de l’institution judiciaire.
Vous trouverez en cliquant ici le courrier envoyé ce jour au ministre de la Justice.
Soyez en outre assurés de notre mobilisation pour tenir malgré tout dans les médias un discours pédagogique, raisonné et raisonnable, pour porter votre parole et défendre notre institution et nos fonctions, en gardant toujours l’espoir qu’il trouve encore écho parmi nos concitoyens.
Vous pouvez retrouver ici notre récente lettre ouverte au président de la République ici
Ainsi qu’une tribune « La justice va dans le mur », qu’il est encore temps de signer.