Mon corps, mon choix: le droit à l’avortement gravé dans la Constitution

19 mars 2024

Le conseil lecture d’Alexandra Vaillant, secrétaire générale de l’USM: Bobigny 1972, une BD de Marie Bardiaux-Vaïente

Nous connaissons tous le procès de Marie-Claire Chevalier, jugée à Bobigny en 1972 pour avoir avorté, défendue par Gisèle Halimi et finalement relaxée par le tribunal pour enfants. Encore aujourd’hui, la passerelle qui relie la gare RATP de Bobigny au tribunal porte le nom de Marie-Claire et rappelle cette étape décisive dans le combat pour les droits des femmes.

Il est néanmoins toujours intéressant de se replonger dans l’histoire du droit et de la société pour comprendre le rôle central de ce procès dans la dépénalisation de l’avortement grâce à la loi du 17 janvier 1975 dite loi Simone Veil, ainsi que le rôle de l’association CHOISIR, créée en 1971 par Me Halimi et Simone de Beauvoir, et réaliser ainsi le chemin parcouru depuis. C’est ce que propose la bande dessinée « Bobigny 1972 » de Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel, publiée en janvier 2024 aux éditions Glénat. Avec un graphisme sombre et percutant, des dialogues accessibles aux plus jeunes et des aller-retours dynamiques entre le parcours de Marie-Claire et les actions militantes de l’époque, les auteures livrent un récit passionnant et vivant de la lutte pour le droit à l’avortement.

Si depuis la loi du 21 mars 1923 l’avortement n’est plus un crime, il demeure en 1972 un délit ainsi défini et réprimé par l’ancien article 317 du code pénal :

« Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans, et d’une amende de 1.800 F à 100.000 F. L’emprisonnement sera de cinq ans à dix ans et l’amende de 18.000 F à 250.000 F s’il est établi que le coupable s’est livré habituellement aux actes visés au paragraphe précédent. Sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 360 F à 20.000 F la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet ».

L’ouvrage rappelle en outre que trop de femmes sont encore poursuivies sur la base de cet article, particulièrement celles n’ayant pas les moyens financiers d’avorter à l’étranger. C’est d’ailleurs l’un des axes centraux de défense de Me Halimi, qui fera venir à la barre Delphine Seyrig, Claude Servan-Schreiber et Simone de Beauvoir pour en attester. L’ouvrage revient également sur les avortements clandestins pratiqués dans des conditions sanitaires désastreuses (estimation entre 500 000 et 1 000 000 par an), sur les décès qui s’en suivent, sur les traumatismes physiques et psychiques subis.

Alors que le 08 mars 2024 la France est devenue le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse[1], n’oublions pas le chemin parcouru nationalement et le chemin qu’il reste à parcourir internationalement pour les droits de toutes les femmes.

L’Organisation mondiale de la santé estime ainsi entre 4,7 et 13,2 le pourcentage de décès maternels pouvant être attribués à un avortement non sécurisé. L’OMS estime également qu’environ 45% des avortements sont encore non sécurisés, dont 97% ont lieu dans un pays en développement. D’autres ONG estiment qu’une femme meurt toutes les 9 minutes dans le monde à la suite d’un avortement clandestin.

Côté droit européen, le président de la République, lors de la cérémonie de scellement de la Constitution, a partagé son souhait d’inscrire le droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

N’oublions pas non plus que garantir la liberté de recourir à l’IVG suppose des moyens humains et matériels au quotidien (formation des soignants, accès à l’information, accès aux cabinets pratiquant l’IVG …). Gardons enfin toujours à l’esprit ces mots de Simone de Beauvoir, pour qu’ils ne deviennent pas prophétiques : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».


[1] La loi constitutionnelle du 08 mars 2024 comporte un seul article modifiant l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».