Conférence sur l’amiable animée par un juge québécois.
Le 5 février s’est tenue, au tribunal judiciaire de Paris, la conférence CRA/ARA (conférence de règlement amiable/audience de règlement amiable) co-animée par Pierre Béliveau, juge honoraire du Québec, et Gabrielle Planès, médiatrice, présidente d’honneur de l’Association Nationale des Médiateurs (ANM).
Alors que par décret n°2023-357 du 11 mai 2023 la tentative préalable de conciliation obligatoire pour les petits litiges a été rétablie, et que par décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 l’ARA et la césure du procès civil ont été instaurées, il est particulièrement instructif de revenir sur l’exemple québécois à l’origine de l’ARA, et de prendre connaissance de l’étude comparée pour comprendre la portée et les perspectives de réussite de l’ARA voire plus largement de l’amiable dans notre système juridique.
Quelques enseignements parmi d’autres, certains ne sont guère surprenants, d’autres le sont davantage :
- Des systèmes juridiques d’évidence très différents : tandis que le système judiciaire québécois est hybride (d’inspiration française pour le code civil, mais largement dominé par le droit anglo saxon pour tout le reste), la procédure civile est quant à elle très libre, puisque les tribunaux peuvent légiférer dès lors que cela ne contredit pas une disposition du code de procédure civile,
- Tous les juges étant d’anciens avocats, la culture de la négociation et de la médiation y est très ancrée,
- Les procès, s’ils sont moins longs qu’en France (dû à l’unité de juridiction et très peu d’appels), ils sont particulièrement coûteux et incitent à l’évidence à la négociation, la médiation étant quant à elle gratuite ; c’est ainsi que plus de 85 % des dossiers sont réglés au Québec par des accords, tandis que 80 % des dossiers en France sont plaidés ;
- Si le taux de réussite de la CRA est de 80 à 85%, il faut savoir que sur 2022, 1 200 CRA sur 60 000 dossiers ont été réalisées (soit 2% des dossiers !), le taux de médiation en France étant de 1%, avec 60% de taux de réussite !
S’il souscrit aux réels avantages de la médiation et à l’intérêt de la développer, le juge Béliveaux a tenu à faire part de quelques réserves :
- Compte tenu de la surcharge des juges français, « la médiation, contrairement à ce que pense le ministère, ne pourra pas tout régler », ou « comment avoir confiance dans la médiation si l’Etat n’y met pas d’argent ? »sic
- « La mise en place de l’ARA sera au départ une grosse perte de temps »
- Tous les acteurs sont concernés et doivent jouer le jeu : avocats, administrateurs judiciaires etc.
- De nombreux paramètres doivent l’accompagner :
- Une forte décharge des magistrats pratiquant l’ARA,
- La gratuité des médiations par une prise en charge totale ou partielle de l’Etat et son déroulement dans les palais de justice,
- L’uniformisation des règles relatives à la médiation, la création d’un bureau de la médiation,
- La priorité accordée au traitement des dossiers dans lesquels les parties ont participé à une médiation, etc.
En conclusion, M. Béliveau et Mme Planès se sont accordés à reconnaître que la médiation prendra vraisemblablement 1 à 2 générations pour s’implanter dans un système juridique aussi différent que le nôtre. Pour lever les réserves voire obstacles au déploiement de l’ARA dans notre système judiciaire civil, il faudra nécessairement du temps mais surtout des moyens alors que la justice civile est aujourd’hui le parent pauvre d’une justice en état de délabrement général.
Pour aller plus loin : lire ici l’étude complète réalisée par M. Béliveau