Après plusieurs faits divers dramatiques survenus ces derniers jours, la question de la violence des mineurs réapparait dans le paysage politique et médiatique.
L’Union syndicale des magistrats n’apprécie les dernières annonces gouvernementales sur la justice des mineurs ni à l’aune d’un a priori laxiste ou naïf, ni sous l’angle d’un a priori répressif. C’est un chemin toujours difficile de rappeler les principes fondamentaux de notre République dans une société de la communication où l’immédiateté et l’hyper réactivité sont élevées au rang de vertus cardinales.
Alors que le ministère de la Justice se félicitait encore il y a peu du succès du code de la justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur le 30 septembre 2021 à moyens quasi constants et qui a succédé à l’ordonnance du 2 février 1945, les dernières annonces du Premier ministre laissent envisager une nouvelle réforme législative. Le triste adage « un fait divers, une loi » se porte donc au mieux alors que le rapport Sauvé, issu des Etats généraux de la justice, avait rappelé l’impérieuse nécessité d’une pause législative pour permettre à l’institution judiciaire de se redresser (relire notre communiqué de presse de janvier 2023 : L’asphyxie enfin reconnue).
Le Premier ministre a souhaité lancer « une grande consultation » des corps intermédiaires sur la justice des mineurs à réaliser dans un délai court de huit semaines, avec un premier point d’étape d’ici à quatre semaines (avancée des travaux et premières mesures annoncées). Au-delà de savoir s’il est réellement pertinent de se lancer dans un tel chantier légistique en huit semaines, que faudrait-il donc déjà changer dans un CJPM qui n’a que deux ans ? La plupart des professionnels salue le raccourcissement des délais opéré par ce nouveau code. La césure mise en œuvre est en effet pertinente dès lors qu’elle ouvre un temps de mise à l’épreuve éducative effectif. A cet égard, des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ont indiqué que le manque de moyens ne leur permettait pas toujours d’utiliser pleinement ce temps d’épreuve. Car en matière de justice des mineurs comme pour d’autres sujets la question des moyens est centrale, n’en déplaisent à ses détracteurs.
Parallèlement au discours du Premier ministre, n’oublions pas de rappeler les difficultés devenues structurelles auxquelles est confrontée la protection de l’enfance : manque de personnels, jugements non exécutés, effondrement de la pédopsychiatrie … Or, l’inexécution ou l’exécution défaillante des décisions de justice met à mal tout le dispositif de protection de l’enfance et est susceptible d’entraîner des conséquences sur un passage à l’acte ultérieur de certains mineurs. C’est pourquoi l’USM sollicite de longue date davantage de structures d’accueil, des structures d’accueil diversifiées (adaptées notamment à des enfants présentant des troubles de la personnalité) et des structures permettant des visites encadrées à la mesure des besoins. De manière générale, nous demandons un dispositif permettant à l’aide sociale à l’enfance d’exécuter les décisions des juges des enfants, aux enfants placés de bénéficier d’une prise en charge conforme à leurs besoins dans le délai fixé par le jugement. Le raisonnement est identique pour les mesures en milieu ouvert : quelle efficacité pour une mesure éducative prise en charge des mois, voire plus d’un an, après son prononcé ?
Sur les besoins humains et la charge de travail, l’USM considère qu’une charge de travail normale d’un juge des enfants (pour travailler convenablement) est d’environ 350 dossiers d’assistance éducative avec une activité pénale de l’ordre de 20 à 25% de la charge du cabinet. Or, un grand nombre de juges des enfants a en charge 600, voire 700 ou 800 mesures, ce qui rend impossible le fonctionnement d’une justice des mineurs de qualité. Il existe également un très grand nombre de postes vacants dans les greffes des tribunaux pour enfants, et la plupart des juges des enfants sont contraints de tenir les audiences d’assistance éducative sans greffier.
La justice des mineurs est un enjeu essentiel de toute démocratie et la qualité de celle-ci reflète l’importance accordée aux plus vulnérables. Au regard de nos principes constitutionnels, conventionnels et juridiques fermement établis, elle ne peut se réduire au tout répressif. L’importance accordée à la protection de l’enfance, à l’éducation, au suivi médico-social constitue la plus efficace des préventions de la délinquance des mineurs. L’enjeu est tel qu’il exige des moyens à la hauteur des besoins, ce qui n’est aujourd’hui absolument pas le cas.
Au lieu de se lancer dans une énième réforme en mode dégradé ou inadapté, donnons-nous les moyens d’appliquer les réformes déjà intervenues et donnons les moyens aux éducateurs, juges des enfants, greffiers, parquetiers, enquêteurs et associations d’appliquer totalement et complétement le CJPM.
Le bureau de l’USM a répondu à la presse ces dernières heures. Lisez par exemple ici un article du Monde « Justice des mineurs, l’option répressive de Gabriel Attal », qui cite Ludovic Friat : « Je suis vent debout, lance Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (majoritaire). C’est de la com. Le code de la justice pénale des mineurs a à peine trois ans et on le modifie alors que c’est un outil intéressant. Il faut se garder du laxisme mais aussi du tout répressif. C’est un recul conséquent des droits. »