Un projet de réforme du décret de 1999 a été présenté pour avis (consultatif) au conseil d’administration de l’ENM le 9 janvier 2023, qui a suscité des débats animés. L’USM s’inquiète pour l’avenir de l’école.
A la demande de la direction de l’ENM, un conseil d’administration extraordinaire a eu lieu avec comme ordre du jour le projet de décret modifiant le décret du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l’Ecole nationale de la magistrature.
En effet, la direction de l’école, pour répondre à la demande de la Chancellerie d’ouvrir l’ENM à d’autres professions, a soumis aux membres du CA un projet permettant notamment de recruter des non-magistrats à des postes de CDF(*) et de direction à hauteur d’un quart des effectifs, soi-disant pour en terminer avec le corporatisme et faire face aux besoins à venir en termes de recrutement…
Or, l’ouverture envisagée pour pallier le défaut d’attractivité actuel des postes à l’ENM pour les magistrats n’est pas une solution acceptable, dès lors qu’elle vient heurter l’impératif d’une formation pratique et fonctionnelle qui doit nécessairement être conçue, dispensée puis évaluée par des pairs. Par ailleurs, l’ENM n’a eu de cesse ces dernières années de remettre en question ses modes de recrutement et de formation, afin de garantir l’ouverture des auditeurs de justice et de tous les publics dont elle assure désormais la formation, y compris en faisant régulièrement appel à des intervenants d’autres professions (avocats, médecins, linguistes, experts, OPJ, universitaires, journalistes, etc….) pour les besoins pédagogiques.
Ce projet a engendré une opposition massive de l’ensemble des personnels de l’ENM, qu’il s’agisse des CDF (*), CRF (*), MEA (*), MEVA (*) et DCS (*). Une contribution écrite étayée de la part des formateurs a été adressée, tant à la direction qu’au CA, afin de dénoncer de manière argumentée et pertinente cette réforme envisagée et les risques afférents à cette pseudo-ouverture.
Vous trouverez ainsi en cliquant sur ce lien les documents suivants :
• La présentation du projet de décret modifiant le décret n° 99-1073 du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l’Ecole nationale de la magistrature
• Le tableau 3 colonnes présentant les modifications textuelles
• La contribution des formateurs de l’ENM, avec 2 annexes (volume des enseignements dispensés par des non magistrats en formation initiale/organigramme de l’ENM avec les postes de magistrats mis en évidence)
• La contribution des magistrats enseignants associés et magistrats évaluateurs adjoints
• La contribution des magistrats DCS
Nous avons alors souhaité soutenir cette position de nos collègues de l’ENM et rédigé avec le SM un courrier à l’attention des membres du CA (ici) afin de dénoncer ce projet modificatif qui est non seulement inutile mais dangereux pour l’avenir de l’ENM car l’objectif avancé d’ouverture n’est qu’un prétexte de fragilisation de ce qui fait la force de cette école largement enviée à l’étranger : une formation diversifiée et dispensée par les pairs.
Lors du conseil d’administration dont l’avis n’est que consultatif, ce qui implique que la DSJ aura le dernier mot, il en est ressorti que tout le monde avait conscience de la portée de ce texte pour l’avenir de l’ENM. François Molins, a rappelé que l’ENM était déjà une école ouverte depuis des années et qu’elle devait rester une école professionnelle enseignée majoritairement par les pairs et qu’il fallait se méfier du danger d’une dépréciation à venir des enseignements des fondamentaux.
La directrice a commencé par évoquer la nécessité d’anticiper les besoins à venir et notamment parvenir à former davantage de magistrats (1500 en 5 ans) tout en garantissant les fondamentaux en termes de qualité mais «qu’il fallait sortir du dogme du magistrat qui sait tout faire et tout enseigner ». Il faut donc intégrer des nouveaux profils de formateurs permanents qui ont des compétences que n’ont pas les CDF (*) magistrats ! Elle s’est voulu rassurante en indiquant que ces non-magistrats n’auraient pas des enseignements fonctionnels et qu’il n’était pas question de remettre en cause la formation par les pairs. Quant aux postes de direction, elle a rappelé que depuis 1999, ces postes peuvent déjà être confiés à des universitaires sans le quota du quart des effectifs proposé dans le projet qui serait donc plus protecteur….
Le DSJ quant à lui a indiqué que ce projet de décret est une première application des conclusions du rapport Sauvé en promouvant l’ouverture. L’ENM « doit apprendre à mieux travailler en équipe et avoir la culture de l’amiable », ce qui induit de recruter des personnes idoines. Il va de soi que cette ouverture voulue ne concerne pas les enseignements juridictionnels qui seront toujours assurés par des magistrats. Le directeur a précisé que ce texte était équilibré et avait été travaillé avec l’ENM pour prendre en compte les besoins exprimés. Il a indiqué néanmoins que ce texte pouvait faire l’objet de rectifications, d’évolutions et s’est dit ouvert à des propositions.
S’en est donc suivi un débat sur les thématiques. Notamment, il a été dit par certains membres du CA qu’il était nécessaire de préciser les sous-directions qui ne sont pas listées dans l’actuel art 1 de sorte à éviter des interprétations et des modifications au gré des organigrammes surtout avec des quotas proposés pour les postes de direction et de sous-direction.
Après avoir rappelé notre opposition à ce projet, nous avons alors martelé les lignes rouges à ne pas franchir notamment :
• Pas de filtrage par la direction des dossiers de recrutement ou alors sur la seule recevabilité des dossiers
• Pas de CDF (*) non-magistrats qui assurent les enseignements fonctionnels et juridictionnels
• Pas de non-magistrats sur les postes clé de sous-directions des études, des stages et de la formation continue
• Une majorité de magistrats aux postes de direction
• Un quota revu à la baisse pour les recrutement de non-magistrats
Le CA n’a pourtant pas émis de réserves sur le fait qu’il n’y ait pas de majorité préservée de magistrats aux postes de direction dans ce projet, ni sur le fait que des postes de sous-direction ne soient pas sanctuarisés. Aucune réserve non plus sur des conditions d’ancienneté supérieures pour les CRF (*) lesquels pourtant nécessitent d’être plus capés que 5 ans d’ancienneté. S’agissant des CDF (*) non-magistrats, là-encore, un débat s’est ouvert à la demande insistante des organisations syndicales sur le fait que l’enseignement des techniques professionnelles liées à l’activité juridictionnelle soient réservés à des magistrats. Le CA a émis cette fois-ci un avis en ce sens, ce qui ne lie évidemment pas l’exécutif. Quant à l’article 12, ce fut finalement la seule concession accordée par la DSJ et l’ENM où il est proposé que la direction ne jouerait le rôle de filtre que sur la seule recevabilité des dossiers de candidature.
Soutenus par certains membres du CA, nous avons exprimé notre vive inquiétude sur ces évolutions en termes de recrutement des personnels de l’ENM et rappelé que le rayonnement, l’attractivité et la qualité de l’école étaient un sujet d’importance, a fortiori avec les enjeux de demain de former 1500 magistrats et 3000 juristes-assistants en 5 ans. Aussi, au lendemain de ce conseil d’administration qui va donner les coudées franches à l’exécutif pour réformer les recrutements à l’ENM, nous serons plus que vigilants sur les évolutions concrètes et les conséquences de la mise en œuvre de ce décret car, de l’avenir de l’école, dépend celui de la magistrature dans son ensemble.
* CDF : chargés de formation (magistrats détachés à l’ENM pour enseigner)
* CRF : coordonnateurs régionaux de formation (magistrats détachés à l’ENM chargés de suivre et d’évaluer les auditeurs en stage dans une grande région)
* MEA : magistrats enseignants associés (magistrats qui enseignent à l’ENM ponctuellement dans la fonction qu’ils exercent toujours en juridiction), aux côtés des CDF
* MEVA : magistrats évaluateurs (magistrats en juridiction chargés d’évaluer ponctuellement les auditeurs en stage), aux côtés des CRF
* DCS : directeur de centre de stage (responsable des stagiaires, dont les auditeurs, dans une juridiction)