Le 2 mai 2023, le garde des Sceaux avait saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’une demande d’avis en application de l’article 65 de la Constitution. L’avis sollicité s’appuyait sur le souhait d’approfondir la réflexion sur le statut de la magistrature et l’objectif de mieux préserver l’image de la justice. Il portait, d’une part, sur l’articulation entre la liberté d’expression des magistrats et l’obligation déontologique de réserve et de discrétion, plus particulièrement quant à l’usage des réseaux sociaux, aux formes d’expression à l’occasion d’audiences solennelles, ainsi que par le biais de l’expression syndicale et, d’autre part, sur l’exercice du droit de grève par les magistrats.
Sur cette dernière question, le CSM a considéré qu’il ne pouvait se substituer ni au Conseil constitutionnel ni aux juridictions administratives et européennes pour interpréter le statut de la magistrature et apprécier la validité du droit de grève.
La première question n’était pas nouvelle et le CSM a davantage fait œuvre de synthèse des principes existants que de création de règles nouvelles.
L’avis, dont la rédaction est solide dans la forme et documentée dans le contenu, est clair et bienvenu dans une période où ces questions ont pu soulever des controverses.
Dans deux paragraphes (§26 et 27), le CSM réaffirme la liberté d’expression encadrée des magistrats :
En dépit des limites que connaît son exercice, la liberté d’expression des magistrats est essentielle pour garantir leur indépendance. Comme le rappelle le Conseil consultatif des juges européens dans son avis du 2 décembre 2022 sur la liberté d’expression des juges, ceux-ci « ont le droit de faire des commentaires sur des questions qui concernent les droits fondamentaux de l’homme, l’État de droit, les questions de nomination ou de promotion des juges et le bon fonctionnement de l’administration de la justice, y compris l’indépendance du pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs. Le public doit avoir confiance dans la capacité des magistrats à représenter effectivement les principes de l’État de droit ».
La liberté d’expression des magistrats n’est pas consacrée pour leur seul bénéfice. Elle constitue une garantie pour chacun des justiciables. Les magistrats qui exercent leur fonction avec indépendance, constituant ainsi l’un des piliers de l’État de droit, ont le devoir de faire le nécessaire pour préserver ce dernier, ainsi que les autres valeurs fondamentales dont ils sont les gardiens.
Les buts légitimes qui doivent être recherchés sont la préservation de l’impartialité et de l’indépendance de l’autorité judiciaire ainsi que le respect de la séparation des pouvoirs, socles de l’État de droit et de la nécessaire confiance des citoyens en leur justice.
S’agissant du cas particulier des audiences solennelles, l’avis précise (§45) :
Les discours des chefs de cour et de juridiction prononcés lors des audiences de rentrée solennelle constituent un moment privilégié dans la vie d’une juridiction. Celles-ci sont l’occasion par excellence d’exposer publiquement les sujets de satisfaction et de préoccupation des magistrats et fonctionnaires aussi bien quant à la situation de la juridiction où ils exercent leurs fonctions qu’en ce qui concerne l’évolution de l’institution judiciaire, y compris les réformes en cours et la législation et la réglementation applicables. En dehors d’hypothèses extrêmes, comme l’emploi de termes injurieux ou une mise en cause des institutions de la République, la parole doit y être libre.
Sur l’expression des syndicats de magistrats, l’avis indique (§51) :
La reconnaissance du droit syndical a inéluctablement pour conséquence de conférer aux organisations syndicales et à leurs représentants un droit de s’exprimer qui est encore plus large que celui qui résulte du droit commun. En particulier, la possibilité d’adopter un ton polémique, pouvant comporter une certaine vigueur, constitue un corollaire indispensable à un plein exercice de la liberté syndicale.
Enfin, à propos de l’expression des magistrats sur les réseaux sociaux, le CSM rappelle (§51) qu’il convient d’observer « une réelle vigilance dans leur usage et recommande prudence et circonspection, pour l’utilisation des réseaux et pour les informations échangées ».
Les solutions dégagées en la matière étaient connues et le CSM n’a pas dans cet avis fait œuvre créatrice ce qui a valu au journal Le Monde de titrer son article : « Le cours de droit du Conseil supérieur de la magistrature à Éric Dupont-Moretti ».
Nous les avions d’ailleurs rappelées dans notre Newsletter n°6 du mois de septembre 2023 à retrouver ici.
La rédaction claire, l’affirmation forte des principes ainsi que les nombreuses références et exemples donnent néanmoins une coloration très solennelle à cet avis. Si la question de la liberté d’expression des magistrats n’est pas simple, le CSM y apporte des réponses nettes et désormais connues de tous.
Retrouvez l’avis du CSM ici.