Liberté syndicale

12 juin 2023

La liberté syndicale des magistrats sacrifiée au nom de l’impartialité ?

Voir le communiqué de presse du 12 juin 2023

Dans le cadre de l’examen actuel au Parlement du projet de loi organique « relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité des magistrats », le Sénat a adopté hier un amendement visant à limiter la liberté syndicale des magistrats puisqu’il vient ajouter une condition au I de l’article 10-1 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 qui garantit le droit syndical en ces termes : « Le droit syndical est garanti aux magistrats (…) dans le respect du principe d’impartialité qui s’impose aux membres du corps judiciaire ».

L’Union syndicale des magistrats s’étonne que l’impartialité, à laquelle tout magistrat est tenu au même titre que d’autres obligations déontologiques telles que l’indépendance, la dignité, la loyauté, le devoir de réserve, etc. puisse être invoquée au service d’une volonté de museler la parole des magistrats, y compris à titre syndical.

Car, au-delà de la liberté syndicale, c’est bien la liberté d’expression des magistrats qui est ici visée, liberté pourtant garantie par la convention européenne des droits de l’homme comme un droit fondamental.

Les instances européennes s’attachent régulièrement à préciser les contours de cette liberté pour les magistrats, tenus à des obligations propres à leurs fonctions et responsabilités.

Le Conseil consultatif des juges européens a rendu en décembre 2022 un avis n°25 sur la liberté d’expression des juges qui rappelle que « outre le droit individuel d’un juge, les principes de démocratie, de séparation des pouvoirs et de pluralisme exigent la liberté des juges de participer aux débats d’intérêt public, spécialement concernant les questions relatives au pouvoir judiciaire. »

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu plusieurs arrêts, notamment contre la Turquie, la Hongrie ou la Pologne, et encore tout récemment par un arrêt CEDH – 2ème section requête n°63029/19 du 6 juin 2023 – Sarisu Pehlivan c/ Turquie, pour rappeler le principe de la liberté d’expression des magistrats, notamment à titre syndical, en énonçant que « même si des réserves peuvent être émises pour ce qui est des déclarations politiques émanant des membres du corps judiciaire, en l’espèce, les implications politiques des déclarations de la requérante sur les questions susmentionnées ne sauraient suffire à elles seules pour restreindre sa liberté d’expression en tant que secrétaire générale du Syndicat des juges dans un domaine touchant à l’essence de sa profession ».

De même en France, le Conseil supérieur de la magistrature a, par une décision du 15 septembre 2022, indiqué que l’obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence.

L’Union syndicale des magistrats dénonce avec force cet amendement comme contraire aux droits fondamentaux, à la liberté syndicale et à la liberté d’expression des magistrats. Car qu’est-ce qu’un droit syndical emprisonné dans le respect de l’impartialité si ce n’est le devoir de se taire ?