L’USM s’est alarmée dès le début du mois de juillet des risques liés à la réforme de la police judiciaire. Depuis lors, un front commun contre ce projet s’est dessiné réunissant notamment magistrats et policiers.
Le ministre de l’Intérieur s’apprête à mettre en oeuvre une départementalisation de la police judiciaire à compter de 2023, en unifiant le commandement des différents services de police (police judiciaire, police aux frontières, sécurité publique, renseignement) sous l’autorité d’un directeur départemental de la police nationale (DDPN), appelé à devenir le seul interlocuteur du préfet sur les questions touchant à la sécurité intérieure.
Derrière ce projet de réforme présenté comme une simple réorganisation se dissimulent des bouleversements majeurs de nature à porter gravement atteinte à l’efficacité des enquêtes et à l’indépendance de la justice.
Il conduira en effet à l’absorption de la PJ par la sécurité publique et sacrifiera une filière hautement spécialisée sur l’autel du traitement de masse de la délinquance du quotidien. Outre le fait que la délinquance s’arrête rarement aux limites du département, des critères d’opportunité pourront guider la répartition des moyens par le DDPN : exigences statistiques, pression des élus, spécificités de la délinquance locale. C’est privilégier l’arrestation du petit trafiquant, aussitôt remplacé, plutôt que le démantèlement des réseaux, ou du vendeur à la sauvette plutôt que de ceux qui l’exploitent. C’est porter un
coup fatal à la lutte contre la criminalité organisée ou contre la délinquance économique et financière déjà si mal en point.
L’enjeu est également celui de la protection du secret des enquêtes : les enquêtes sensibles seront suivies en temps réel par l’autorité préfectorale mais aussi par le ministre de l’Intérieur sous l’autorité duquel il se trouve.
L‘organisation actuelle de la PJ met les policiers à distance des partenaires locaux en préservant leur impartialité. La culture de la sécurité publique est au contraire celle du partenariat et des échanges permanents avec tous les interlocuteurs institutionnels. Cette proximité indispensable en sécurité publique est très problématique en matière de police judiciaire.
Enfin, le libre choix du service d’enquête par les magistrats, inscrit dans le code de procédure pénale, sera mis à néant, le DDPN devenant le seul décisionnaire de la répartition des moyens entre ses services et, de fait, seul maître de la politique pénale. Le Conseil constitutionnel a pourtant récemment rappelé que la police judiciaire devait être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire (DC 2021-817)
Les premiers retours de l’expérimentation en cours sont alarmants : l’autorité judiciaire est identifiée comme simple gestionnaire de flux, les priorités de politique pénale définies par les procureurs ne sont pas respectées, et la justice a perdu ses interlocuteurs spécifiques à la police judiciaire. Ces constats et l’hostilité que le projet suscite chez les magistrats et services de police judiciaire ont conduit le Parlement à lancer des missions d’information.
Des rassemblements de protestation sont organisés partout en France ce 17 octobre 2022 entre 12h et 14h.
Alors qu’il faudrait combattre la crise des vocations dans l’investigation et doter la justice et la filière investigation de la police de moyens supplémentaires pour mener des enquêtes de qualité contre des formes de grande criminalité en mutation permanente, ce projet vient sonner le glas de la police judiciaire et priver l’autorité judiciaire de cet outil essentiel.
Nous demandons que la PJ ne soit pas concernée par la départementalisation, que les moyens de lutte contre la grande criminalité et la délinquance économique et financière soient préservés et que l’indépendance des enquêtes judiciaires soit assurée.