Le renvoi d’un ministre de la Justice en exercice devant la Cour de justice de la République : un événement sans précédent.
La situation dans laquelle se trouve le garde des Sceaux, renvoyé devant la Cour de justice de la République alors qu’il est en exercice, est inédite. Inédite par la nature des infractions pour lesquelles Eric Dupond-Moretti sera jugé, qui relèvent d’une atteinte grave à la probité. Inédite car tout au long de la procédure, malgré les responsabilités qui lui incombent, le garde des Sceaux n’a cessé de mettre en cause l’impartialité du ministère public et des juges chargés de l’instruction de l’affaire, tentant de jeter le discrédit sur leurs décisions. Inédite car en cas de maintien dans ses fonctions, il s’exposerait à un nouveau conflit d’intérêts s’il devait nommer son propre accusateur après le départ du Procureur général près la Cour de cassation, François Molins.
L’USM et le SM avaient déposé le 17 décembre 2020 une plainte contre Éric Dupond-Moretti , ministre de la Justice et à cet égard garant de son indépendance. Ils dénonçaient l’abus de ses fonctions ministérielles. Le ministre, ancien avocat, avait engagé des poursuites disciplinaires contre des magistrats qui avaient traité des affaires le concernant personnellement ou concernant ses clients.
Le communiqué de presse diffusé à cette occasion précisait alors une position, qui demeure inchangée : « Par cette plainte, nous cherchons d’abord à obtenir le respect de la loi. L’interdiction absolue du conflit d’intérêts (1) pour un ministre de la Justice ne se négocie pas. Il s’agit en outre d’un enjeu de démocratie. Le ministre de la Justice soutient avoir agi en toute légalité. D’autres ministres pourraient, dans le futur, s’appuyer sur ces précédents pour instrumentaliser la justice dans leur propre intérêt. »
La commission d’instruction, composée de trois juges indépendants, membres de la Cour de cassation, a procédé à la mise en examen du ministre le 16 juillet 2021.
L’existence de conflits d’intérêts a été notamment attestée par deux décrets, signés par le Premier Ministre et contresignés par Eric Dupond-Moretti lui-même. En dates du 23 octobre 2020 et du 17 décembre 2020, ils sont postérieurs aux faits reprochés au ministre (2).
Les décisions prises par le ministre relevaient de son pouvoir propre.
La commission d’instruction estime qu’il existe des charges suffisantes pour renvoyer le ministre devant la Cour de justice de la République pour des faits de prise illégale d’intérêts (3).
Le ministre de la Justice sera jugé par la Cour de justice de la République, composée de trois juges professionnels et douze parlementaires (députés et sénateurs élus dans chaque assemblée). Il bénéficie de la présomption d’innocence.
Il appartiendra à cette juridiction de dire si l’infraction de prise illégale d’intérêts est ou non constituée. Eric Dupond-Moretti encourt jusqu’à 5 années d’emprisonnement et 500.000 euros d’amende ainsi qu’une peine complémentaire d’inéligibilité.
(1) Selon le rapport « Sauvé », un conflit d’intérêts est « une situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions » (Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, remis au Président de la République le 26 janvier 2011, p.19)
(2) Les décrets de « déport » ont été pris sur le fondement de l’article 2-1 du décret n°59-178 du 22 janvier 1959 selon lequel « le ministre qui estime se trouver en situation de conflit d’intérêts en informe par écrit le Premier ministre en précisant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer ses attributions. Un décret détermine, en conséquence, les attributions que le Premier ministre exerce à la place du ministre intéressé ».
(3) Le renvoi est ordonné si la Commission d’instruction « estime que les faits constituent un délit » (article 179 du Code de procédure pénale).