Le conseil lecture de Cécile Mamelin, vice-présidente de l’USM: Une enquête immersive passionnante pour appréhender les violences conjugales et qui ne vous laissera pas indifférents.
Julien, Kévin, Romain et les autres : non, ce n’est pas le remake littéraire d’un des films du cinéma français les plus magnifiques sur les thèmes universels de l’amour et l’amitié de Claude Sautet (pour les plus jeunes ou ceux qui ne l’auraient pas encore vu : « Vincent, François, Paul et les autres ») mais les prénoms de quelques-uns des protagonistes que vous découvrirez dans le livre enquête de Mathieu Palain, publié aux éditions les Arènes et intitulé « Nos pères, nos frères, nos amis » dont de nombreuses critiques se sont déjà faites l’écho élogieux.
Ce n’est ni d’amour ni d’amitié que parle ce livre car comme le chante avec force Clara Luciani : « l’amour ne cogne que le cœur et ne laisse jamais personne te faire croire le contraire » ! En effet, nulle question ici d’amour qui aurait mal tourné (l’amour « passionnel » voilà une notion à définitivement remiser au placard) mais bien de violences faites aux femmes par leurs compagnons, à travers les témoignages des auteurs et des victimes, le journaliste ayant choisi de s’immerger pendant 4 années au sein de divers groupes de paroles, ayant eu « accès à des histoires et témoignages d’une rare puissance » ainsi qu’aux analyses des animateurs de ces groupes.
Juger ses semblables nous engage voire nous oblige à dépasser tous nos préjugés et à se documenter pour mieux les connaître à défaut de bien les comprendre : tout magistrat a eu ou aura très régulièrement, d’autant plus si ce contentieux se spécialise dans nos juridictions, à juger des cas de violences conjugales. Au-delà des notions d’emprise, du combat pour l’égalité femmes-hommes, de la place laissée aux hommes après le mouvement #metoo, lesquels se débattent avec les notions de virilité et de masculinité qu’on leur a imposé comme modèles, vous découvrirez aussi au fil des pages parfois avec effroi, parfois avec optimisme, les « raisons » ou « excuses » avancées par ces hommes violents, les regrets ou l’absence de remise en cause, mais presque toujours un passé et un environnement familial et/ou social toxique propice à ces passages à l’acte : une sorte de prédestination à devenir cet homme violent que notre société ne veut pas voir, tant ce livre démontre que tous les milieux sociaux et familiaux sont hélas concernés, le plus souvent dans le pire des aveuglements.
Ces hommes, qui sont-ils ? : ils manquent souvent de confiance en eux, sont généralement immatures, idéalisent l’image de leur mère parfaite, que la compagne ne pourra jamais égaler, sont jaloux, psychorigides et obsessionnels de l’ordre, voire paranoïaques ou plus rarement pervers narcissiques, mais comme le conclut un médecin psychiatre « s’ils ne reconnaissent pas leurs fautes ni la souffrance de la victime, la peine n’a aucun sens ». Car n’oublions pas que le déni cache souvent la honte d’être passé à l’acte.
Qu’en disent-ils ? : « Ma femme, c’est mon sang, elle fait partie de moi », « T’es pas un homme si tu laisses trop de liberté », ou encore cette analyse d’une adolescente de 15 ans, dont la mère a été tuée par son père et qui analyse avec lucidité « ce que je vois, c’est qu’on s’occupe des victimes de violences conjugales, mais pas assez des auteurs, des bourreaux. Si on ne fait rien avec les auteurs, ça ne va pas marcher. Et au final, on se retrouve avec des cadavres ».
Les questions de domination, de la peur de l’abandon, de masculinité hégémonique transcendent ces témoignages tous plus forts et dérangeants les uns que les autres avec en miroir ceux bouleversants de leurs victimes sous influence et englués dans un rapport de forces. Ils sont la démonstration que sans la prévention et le travail sur le passage à l’acte et donc de la personnalité de l’auteur et de son environnement, aucune peine aussi forte soit-elle ne pourra mettre définitivement fin à la spirale infernale des violences conjugales : c’est vider la mer à la petite cuillère ou le tonneau des Danaïdes !
Mais l’auteur témoigne aussi au-delà de ces « vies abîmées » de belles reconstructions et termine sur quelques notes d’espoir. Il nous livre également une piste, à savoir une ligne de conduite qui peut tout changer pour les générations futures : » N’emmerde pas ta fille avec des discours sur ce qu’elle doit faire ou ne pas faire, essaye d’être un homme dont elle pourrait être fière, et ce sera déjà énorme », car comme l’analyse l’épidémiologiste américain Gary Slutkin « les enfants exposés à la violence, qui l’ont subie ou en ont été témoins, sont contaminés ».
Il paraît que tout se joue dans l’enfance : donnons donc l’exemple à nos enfants, c’est simple, basique, même si ce n’est pas toujours évident, c’est pourtant indispensable et la meilleure des préventions qui peut tout changer pour les générations futures.
Bonne lecture !