L’IA, une révolution de palais?

16 octobre 2025

Lors du congrès de l’Union syndicale des magistrats, une table ronde sur le thème « L’intelligence artificielle : une révolution de palais ? » a clôturé nos travaux du vendredi 10 octobre 2025.

En voici les points saillants mis en exergue par une IA (Le Chat) :

Contexte et enjeux générationnels :

  • Diversité des générations & Expérience contrastée : La justice rassemble des baby-boomers, la génération X, les millénials (Y), la génération Z, et bientôt la génération Alpha, chacune ayant un rapport différent aux nouvelles technologies et à l’IA. Les plus jeunes ont grandi avec Internet et les outils numériques, tandis que les plus anciens ont connu des débuts plus laborieux (modems 56k, forfaits limités, encyclopédies sur CD-ROM).
  • Retard numérique de notre institution : Malgré des outils obsolètes (Cassiopée, Wineur, Winci, NPP…), l’IA peut être perçue comme une révolution potentielle, mais aussi comme un défi pour une institution encore ancrée dans le XXe siècle.

L’IA dans le quotidien et la justice : quelles problématiques ?

  • Présence omniprésente : L’IA est déjà intégrée dans le quotidien, et son utilisation en justice soulève des questions sur son rôle futur (assistance ou remplacement des magistrats ?).
  • Attentes et craintes : Les attentes envers l’IA sont fortes, mais des inquiétudes persistent, notamment sur la préservation du rôle humain dans la justice et la maîtrise des outils technologiques.
  • Nécessité d’adaptation : Il est crucial d’apprivoiser l’IA pour éviter que la justice ne reste à la traîne, tout en veillant à ce qu’elle reste un outil au service des magistrats et non l’inverse.

Objectifs de l’USM :

  • Lignes directrices : L’USM souhaite définir des orientations claires sur l’IA dans la justice via un groupe de travail dédié.
  • Espoirs et défis : L’IA peut être vue comme une aide potentielle pour gérer la charge de travail croissante dans les juridictions, mais son intégration doit être maîtrisée pour éviter des dérives (réduction d’effectifs, perte d’autonomie des magistrats).

Intervenants et leurs contributions :

  1. Haffide Boulakras (magistrat, directeur adjoint de l’ENM) :
    • Expert en numérique et IA, auteur d’un rapport sur « l’IA au service de la justice : stratégie et solutions » (remis en juin 2025).
    • A souligné l’importance de la souveraineté numérique, de la formation des agents, et de la création d’un observatoire indépendant pour suivre les outils d’IA.
  2. Matthieu Quiniou (avocat, expert en IA et normalisation) : A présenté les travaux internationaux (Règlement IA, CEPEJ, UNESCO) et les 5 axes majeurs pour une IA responsable :
    • Respect des droits fondamentaux.
    • Non-discrimination.
    • Qualité et sécurité.
    • Transparence et intégrité intellectuelle.
    • Formation des utilisateurs.
  3. Fabrizio Papa Techerra (directeur Innovation de Lexbase) : A abordé les aspects techniques de l’IA, notamment l’importance des bases de données enrichies (doctrine, jurisprudence) au-delà des textes de loi, et des entrainements, pour des réponses pertinentes.
  4. France Charruyer (avocate, experte en droit des nouvelles technologies) :
    • A mis en lumière les enjeux sociétaux de l’IA en justice (souveraineté, égalité, intégrité & indépendance cognitive).
    • A insisté sur la nécessité d’un débat citoyen pour équilibrer innovation, protection des libertés, et souveraineté territoriale, et a plaidé pour un travail conjoint des acteurs de la justice.

Questions et défis persistants :

  • Rassurer les magistrats : Comment garantir que l’IA ne remettra pas en cause leur autorité (imperium) et ne les transformera pas en simples « contrôleurs de qualité » ?
  • Réduire la charge de travail : L’IA peut-elle devenir une aide concrète pour faire face à la surcharge des juridictions ?
  • Accompagner le changement : Comment gérer cette révolution technologique pour les magistrats et leurs équipes, en maîtrisant la conduite du changement ?

L’IA est perçue comme une révolution inévitable, mais son intégration dans la justice doit être réfléchie pour concilier innovation, souveraineté, et respect des droits fondamentaux. Les débats et travaux en cours visent à encadrer cette transition pour en faire une opportunité plutôt qu’une menace.

Voici ci-dessous une présentation de cette table ronde.

Table-ronde « L’intelligence artificielle, une révolution de palais ? »

Pour ceux qui en juridiction vivent les « plantages » réguliers de Cassiopée, l’archaïsme de Wineur ou Winci fonctionnant toujours avec wordperfect, « logiciel abandonné dans les années 90’ » d’après Wikipédia, le copier-coller aléatoire des documents numérisés dans NPP, parler « IA » semble peut-être présomptueux, tant la Justice semble bien installée dans le 20e siècle, numériquement parlant.  

Dans notre assemblée sont présents des baby boomers (1945-1965), la génération X (1965-1980), les Y ou millénials (1980-1996), dont je fais partie, et commence à arriver en juridiction la Gen Z (1996-2012), qui nous bouscule déjà ; la génération Alpha (depuis 2012) suivra dans quelques années, et elle, elle aura grandi avec l’IA au quotidien. Notre rapport aux nouvelles technologies est donc divers, selon ce que nous avons toujours connu ou découvert en nous investissant nous-même, plus ou moins, dans celles-ci au cours de notre vie personnelle et professionnelle. Notre regard sur l’IA, et plus encore sur l’IA-Justice, varie donc énormément d’un individu à l’autre, d’un magistrat à l’autre, mais nos attentes sont toutes très fortes.

Quand on a grandi avec Internet, déjà « révolution » de la fin des années 90’, on se rappelle quand même qu’on avait un forfait de 2h par mois qui filait vite, un modem 56k qui grésillait beaucoup avant de réussir à se connecter, et une encyclopédie Universalis sur CD-Rom pour préparer ses exposés… Aujourd’hui il suffit de poser une question à son smartphone ! Il n’y a même pas besoin d’écrire… il suffit de lui parler : « DIS SIRI, quel est le dernier arrêt important de la chambre criminelle de la cour de cassation française ? » pour qu’il propose en 2 secondes, lien légifrance vers une décision du 23 juillet 2025 à l’appui, un commentaire sur le fait que les CHINS doivent motiver les circonstances insurmontables pour justifier le maintien en détention avant jugement en CCD d’un accusé, et mieux encore, tease le futur examen d’un dossier en plénière le 28 novembre prochain qui « pourrait avoir des conséquences majeures sur la manière dont sont traités les « cold cases » en France, notamment en ce qui concerne la prescription des crimes non élucidés », je le cite.

Ainsi l’arrivée d’une machine qui réfléchit plus vite que l’humain, et peut vous produire un commentaire d’arrêt en 2 secondes, ne peut que tout d’abord nous « questionner », peut-être même un peu nous « inquiéter », nous, génération élevée aux blockbusters américains nous prédisant un avenir où les machines prennent le pas sur l’humain. La justice sera-t-elle un jour rendue par un super ordinateur, ou par des magistrats assistés d’un super ordinateur ? Nuance d’importance.

Mais aujourd’hui, nous tous, je pense, nous ne pouvons que constater qu’elle est là, l’IA, partout, dans notre quotidien, qu’il va bien falloir faire avec, et qu’il vaut donc mieux essayer d’apprivoiser « cette chose » plutôt que l’ignorer, sauf à risquer d’être totalement hors du temps, et que la Justice ne bascule jamais dans ce fameux 21e siècle ! (dont 25 ans sont déjà passés).

Peu importe votre génération, peu importe que vous soyez geek, ou à l’opposé réfractaire, sceptique voire inquiet encore vis à vis de ces machines, ou comme moi, quelque part entre les 2 : curieuse de voir ce que la machine peut faire, résolue à m’assurer qu’elle ne remplace jamais l’office du magistrat, mais aussi pleine d’espoir que cet outil puisse être au quotidien dans nos juridictions exsangues une réelle aide pour faire face à la masse considérable de travail. Je sais que nous sommes tous ici avons beaucoup de questions et d’attentes vis-à-vis de l’IA et donc vis-à-vis de ce que nos intervenants vont nous dire.

Notre syndicat a pour objectif de fixer cette année ses lignes directrices concernant l’IA dans la justice, à travers un groupe de travail dédié au sein de son conseil national. Les attentes de l’USM sont donc fortes elles aussi.

Pour répondre enfin à la question « L’IA, une révolution de palais ? », nous avons écouté les intervenants suivants :

  • Maître France CHARRUYER, avocate au barreau de Toulouse,
  • Haffide BOULAKRAS, magistrat, directeur adjoint de l’ENM,
  • Fabrizio PAPA TECHERA, directeur Innovation de Lexbase,
  • Maître Matthieu QUINIOU, avocat au barreau de Paris.

Magistrat depuis 2006, actuellement directeur adjoint de l’ENM, Haffide BOULAKRAS a depuis longtemps montré une sensibilité particulière aux nouvelles technologies et a développé une expertise importante en étant notamment directeur du projet Cassiopée en 2014, directeur du programme PPN en 2018. Il s’est vu confier par le garde des Sceaux une mission sur le numérique dans le cadre des États généraux de la justice en 2021, et en qualité de préfigurateur du plan de transformation numérique du ministère en 2022. Tout récemment, il a eu la charge d’une nouvelle mission concernant spécifiquement l’IA, qui a donné lieu à un rapport « l’IA au service de la justice : stratégie et solutions » remis au garde des Sceaux le 23 juin dernier, et accessible sur l’intranet du ministère.

Maître Matthieu QUINIOU est avocat au barreau de Paris, docteur en droit privé, maître de conférence à l’université Paris 8 (Saint-Denis) en sciences de l’information et de la communication, chercheur à la Chaire de l’UNESCO I.T.E.N. (innovation, transmission et édition numériques), spécialisée dans le domaine des médias émergents et des humanités numériques, expert auprès de la CEPEJ en matière d’IA, membre de la commission de normalisation de l’AFNOR, du comité européen de normalisation (CEN) et du Comité européen de normalisation en électronique et en électrotechnique (CENELEC).

Nos deux premiers intervenants ont pu dresser un bilan des réflexions menées au niveau national et international, le Règlement IE, les travaux de la CEPEJ et de l’UNESCO ayant identifié 5 axes majeurs (1/ respect des droits fondamentaux, 2/ principe de non-discrimination ou non amplification des discriminations, 3/ qualité & sécurité, 4/ transparence & intégrité intellectuelle, 5/ formation des utilisateurs). Quant au bilan et aux préconisations opérationnelles formulées dans la mission « l’IA au service de la justice : stratégie et solutions », la question de la souveraineté a été centrale (développement d’un outil justice ad’hoc) comme celle de la formation des agents (création d’un campus du numérique) et du suivi des outils (création d’un observatoire indépendant).

Une approche plus technique a été développée par un acteur direct de l’IA, Fabrizio PAPA TECHERA, membre du directoire de Lexbase, et directeur Produit et Innovation, spécialiste de l’IA de Lexbase. Ce dernier a développé notamment la question des bases de données et de l’entrainement, mettant en avant l’intérêt de disposer de doctrine, les seules décisions de justice ou lois/règlements étant trop restreints pour obtenir des réponses pertinentes (l’IA générative étant un calcul de probabilités).

Les enjeux sociétaux majeurs qui existent derrière cette question de Justice « augmentée » sont majeurs : souveraineté, égalité, intégrité et indépendance cognitive. L’IA vient bousculer notre façon de réfléchir et des problématiques nouvelles émergent, nous n’en avons pas encore forcément tous conscience. Cela a été développé par Maître France CHARRUYER, avocate au barreau de Toulouse, experte en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle, chargée d’enseignements à l’Université Paris-Dauphine, à l’Université Toulouse 1 Capitole, et à la Toulouse Business School. Elle-même DPO, elle est également présidente de DATA RING, association Loi 1901 reconnue d’intérêt général, collectif du droit et du numérique reconnu pour son expertise en droit des données personnelles, des libertés publiques, de la propriété intellectuelle, des technologies avancées et de la cybersécurité, qui œuvre pour un débat citoyen sur ces questions afin de rétablir un équilibre entre usage, protection, liberté et une position politique claire sur la souveraineté des territoires.

Ces interventions nous ont montré comment l’IA était à la porte de nos palais, mais encore inaccessible pour beaucoup d’entre nous. Cette révolution pointe des enjeux majeurs qui doivent rester centraux dans nos réflexions. Si des réponses ont pu nous être apportées, demeurent des questions qui devront trouver rapidement des réponses satisfaisantes :

– Comment rassurer concrètement les magistrats sur le fait que l’IA ne remettra pas en cause leur imperium ? Ou comme l’a développé dans son discours notre président Ludovic Friat : notre besoin d’outils IA accessibles ne doit pas être le prétexte à des réductions d’effectifs ou à notre transformation en un « opérateur machine – contrôleur de qualité » ;

– Quels espoirs peut-on raisonnablement fonder sur le fait que l’IA sera, à plus ou moins court terme, une aide réelle pour faire face à la charge de travail exponentielle dans les juridictions ? (avec en creux l’état actuel « délabré » de nos outils informatiques) ;

– Comment accompagner correctement ce changement qui sera une véritable révolution, pour reprendre le titre de notre congrès, tant pour les magistrats que pour « l’équipe » autour de celui-ci, la « conduite du changement » étant un enjeu fort et pas toujours maitrisé dans notre institution ?