Témoignages sur la réalité du risque disciplinaire

10 décembre 2025

Les situations que nous avons racontées à la première personne, sont fondées entièrement sur des évènements réels qui se sont déroulés depuis les 5 dernières années, nous avons cependant changé les éléments principaux pour préserver l’anonymat de nos collègues qui ont déjà suffisamment subis des procédures injustes.

« Ça n’arrive pas qu’aux autres »

Jamais je n’aurais pensé que moi je ferais un jour l’objet d’une enquête disciplinaire.

J’ai toujours été bon élève, mes études se sont bien passées et j’ai passé le premier concours d’accès à l’ENM par vocation. J’ai occupé des fonctions du siège et du parquet. J’ai été confronté à des moments très difficiles dans ma carrière notamment alors que j’étais de permanence au parquet lors des attentats de 2015, j’ai même été décoré de l’ordre du mérite, pour ce fait, avec un autre collègue.

Après ces évènements très marquants j’ai décidé de revenir au siège dans des fonctions purement civiles pour passer à autre chose, tourner une page.

Mais en 2021, une fin d’après-midi, alors que je sortais d’audience, mon président me demande de venir dans son bureau et m’informe que l’inspection générale de la justice est saisie à mon encontre et va me notifier la lettre de mission.

Le ciel m’est alors tombé sur la tête, que pouvait-il m’être reproché, je n’avais jamais eu de problème dans l’exercice de mes fonctions que ce soit avec un justiciable, avec le greffe ou mes collègues ?

A partir de ce moment j’ai vécu un véritable cauchemar pendant de long mois, presque une année. Mon président très bienveillant m’ayant conseillé de me faire aider par mon syndicat et, comme j’étais adhérent à l’USM, je les ai naturellement contactés.

La lettre de mission m’a été notifiée dans les locaux de l’inspection dans le nord de Paris un mois plus tard en présence à mes côtés d’un membre du bureau de l’USM et j’ai compris que, dans le rapport d’une inspection de fonctionnement d’un conseil des prud’hommes du lieu de mon précédent poste, deux lignes et seulement deux lignes me concernaient.

Lors de l’enquête faite par l’inspection, tous mes anciens collègues ont été entendus ainsi que de nombreux membres du greffe de ma précédente juridiction mais aussi certains de mes collègues actuels et mon président. Il a été difficile pour moi de supporter un sentiment de honte et le regard de ces collègues, je savais que je n’avais rien fait contre notre déontologie mais eux l’ignoraient et même si certains m’ont témoigné leur soutien, je sais qu’ils ont dû se dire : « il n’y a pas de fumée sans feu », « si l’inspection enquête c’est forcément qu’il a dû se passer quelque chose de répréhensible » …

Ce doute permanent a été très difficile à vivre de même que l’incertitude sur la durée de la procédure.

J’ai été entendu longuement, 4 mois plus tard, pendant trois jours complets dans les locaux de l’inspection à Paris. Heureusement que je n’étais pas seul face aux trois inspecteurs enquêtant sur moi. La présence d’un membre de l’USM rompu à la procédure disciplinaire qui m’a soutenu et expliqué au fur et à mesure ce qui advenait et pouvait advenir a été un vrai soutien et je dirai même un vrai réconfort.

Et à nouveau j’ai dû attendre près de 6 mois avant de recevoir un appel d’un membre de la DSJ m’informant que l’enquête n’aurait pas de suite, qu’aucun manquement déontologique ne pouvait m’être reproché et que le CSM ne serait donc pas saisi.

Tout ça pour ça ! Toutes ces nuits sans dormir, toutes ces soirées, ces week-ends, ces vacances (en plus bien sûr de ma charge de travail qui n’a jamais varié) à rechercher dans mes agendas, ma messagerie, les ordonnances de roulement, les éléments factuels démontrant ma bonne foi et mon dévouement au service de la justice, pour cette conclusion bienvenue certes, mais sans plus, sans excuses, sans égard pour mes états de service, sans un mot pour ce que j’ai vécu pendant ces 10 mois !

Je ne suis plus le même aujourd’hui et ne le serai jamais plus, je n’ai plus le même regard sur mes fonctions, sur mes collègues et je sais « que cela n’arrive pas qu’aux autres ! »

Pourquoi moi ?

La justice manque de moyen, cela m’a interpellé dès mon entrée dans la magistrature. C’est notamment pour cette raison que j’ai décidé d’adhérer à l’USM peu de temps après ma prise de fonction dans mon premier poste au parquet.

Très vite je suis devenu juge d’instruction, fonction que j’avais toujours rêvé d’occuper. Ce sont des fonctions passionnantes mais, dans toutes mes affectations, j’ai constaté la surcharge des cabinets, le manque parfois de secrétariat commun et même de greffier. Comment gérer convenablement un cabinet d’instruction avec au mieux un greffier à mi-temps voir à certaines périodes pas de greffier du tout ? J’ai cependant fait face, avec rigueur je suis arrivé à faire avancer mes dossiers. Puis j’ai demandé à me rapprocher de ma famille et j’ai obtenu un poste de vice-président instruction à P.

Je suis arrivé dans un cabinet sinistré où mon prédécesseur, après une dépression larvée, avait été arrêté plusieurs mois. L’encours du cabinet était de 140 dossiers dont un nombre important de dossiers anciens et complexes. Je me suis attaché à faire progresser, bien sûr, les dossiers avec détenus en priorité puis les dossiers les plus récents (vivants) d’atteinte aux personnes avant de m’atteler aux atteintes aux biens ainsi qu’aux dossiers les plus anciens. Il m’a fallu de nombreux mois pour arriver à redresser la situation mais avec acharnement, en sacrifiant mes soirées, une grande partie de mes week-ends et la moitié de mes congés pendant plusieurs années, j’y suis parvenu. Mes évaluations successives ont toujours souligné mes efforts, mon dévouement et la qualité de mon travail. Alors quelle ne fut pas ma surprise et le mot est faible, quand j’ai appris par mon président que la première présidente de la cour d’appel, à la demande du CSM, voulait que je fasse des observations sur une plainte d’un justiciable déclarée recevable par la commission d’admission des requêtes. Pourquoi moi ? Pourquoi alors que j’avais sacrifié tant de choses à mon travail, un justiciable venait-il me reprocher à moi la lenteur de l’instruction le concernant ?

Ce jour fut le début d’une descente aux enfers, je ne connaissais pas la procédure disciplinaire, j’ai contacté l’USM qui a été réactive et deux membres du bureau ont pris en charge ma situation, m’ont expliqué les différentes occurrences. Soit la commission d’admission des requêtes (CAR) convaincue par mes arguments et ceux du premier président, estimait que je n’avais pas commis de faute disciplinaire et l’affaire en restait là, soit elle estimait qu’il y avait une potentielle faute et saisissait le CSM. Malheureusement, la CAR ne fut pas convaincue et ce fut la deuxième option. Les collègues de l’USM m’indiquèrent alors que quelle que soit la suite du dossier je comparaitrai en audience disciplinaire devant le CSM réunit à la Cour de cassation. En effet, il n’existe pas de non-lieu une fois le CSM saisit.

Le Premier président de la Cour de cassation, président la formation siège du CSM, désigna un rapporteur parmi les membres de cette formation. Je n’avais pas souscrit l’assurance responsabilité civile proposée aux adhérents de l’USM car je n’aurais jamais pensé être concerné par une procédure disciplinaire. J’ai cependant pris à mes frais, en plus des collègues de l’USM, un avocat pénaliste que je connaissais bien et dont je savais la qualité et le sérieux. Le rapporteur du CSM a procédé à de nombreuses auditions, de collègues, d’avocats, de personnels de greffe et ce au sein de plusieurs juridictions où j’avais été affecté. Au palais, j’ai senti les regards gênés, les silences à mon passage. Cette période d’enquête qui a duré plusieurs mois durant laquelle je n’étais informé de rien, ni de qui avait été entendu ni bien sûr de ce qui était dit, a été très difficile à vivre.

Je fus convoqué pour une audition par le rapporteur qui dura une demi-journée. Puis, à nouveau, je dus attendre plusieurs mois, le rapport puis l’audience où je dus comparaitre et me justifier.

Ce fut pour moi une terrible épreuve, j’étais déjà « cassé » par l’enquête dont le point d’orgue était cette comparution. Le rapport m’était plutôt favorable, mais le représentant de la DSJ requis un blâme avec inscription au dossier. J’eus la parole en dernier. Je dus attendre encore un mois pour connaitre la décision du CSM : non-lieu à sanction, compte tenu de ma charge de travail. Le CSM a reconnu que je n’avais pas commis de faute !

Je fus un peu soulagé sur le moment bien sûr mais je suis marqué à jamais par ces presque deux ans de procédure.

Heureusement j’ai eu le soutien de ma famille et de l’USM durant ces mois d’épreuve. Je n’aurais pas tenu sans cela mais je ne pourrai jamais oublier ce que l’institution à laquelle j’ai tant sacrifié m’a fait subir. Et vous savez quoi ? Alors que j’ai été blanchi, les frais de mon avocat sont restés à ma charge : la protection fonctionnelle ne s’applique pas devant le CSM et le remboursement des frais n’est pas prévu, même dans mon cas. L’USM m’a incité à faire une action contre l’Etat mais je n’ai pas eu la force et le courage de me battre à nouveau pendant des mois. Je sais c’est injuste ce qui m’est arrivé, je suis suivi par un psychiatre depuis, pourquoi moi ?

Comportement d’audience

En tant que juge aux affaires familiales, j’ai toujours exercé mes fonctions avec sérieux et conscience professionnelle. Jusqu’alors je n’avais jamais eu aucune remontrance ni même d’observation de qui que ce soit sur ma manière de servir et mes évaluations ont toujours été élogieuses.

Pourtant, un jour, j’ai reçu un courrier du Conseil supérieur de la magistrature m’informant de la recevabilité d’une plainte déposée par un justiciable. Il m’accusait de partialité à propos d’un dossier relatif à un changement de sexe, ainsi que d’avoir tenu à son égard des propos désobligeants.

Ce qui m’a profondément ébranlé, c’est que la plainte avait été jugée recevable sur la seule base du courrier du justiciable, sans autre élément. Cette plainte ayant été déclarée recevable, la commission d’admission des requêtes (CAR) a sollicité mes observations ainsi que celles de mon chef de cour. J’ai dû expliquer, me défendre contre des accusations que je savais infondées. J’ai rédigé un courrier circonstancié, joint la note d’audience ainsi que plusieurs attestations, toutes démontrant clairement que jamais de tels propos n’avaient été tenus et qu’aucune partialité n’avait entaché ma décision.

J’ai eu la chance que la CAR convaincue par mes arguments ainsi que par ceux de mon chef de cour, estime qu’aucune faute disciplinaire n’avait été commise. Elle a donc décidé de ne pas transmettre le dossier au CSM.

Malgré cette issue favorable, cette période a été particulièrement stressante. La perspective de devoir comparaître devant le CSM, doublée d’une remise en question profonde de ma pratique professionnelle, a laissé une empreinte durable.